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Jean-François Bouscarain / © Wikipedia Commons

Jean-François Bouscarain, de l’URPS Infirmiers

Un an après le début de l’épidémie, comment les infirmiers libéraux d’Occitanie poursuivent-ils leur élan ? Comment s’organisent-ils pour assurer la couverture de soin sur tout le territoire ? Comment parviennent-ils à s’entraider avec les autres URPS ? Réponses de Jean-François Bouscarain, de l’URPS Infirmiers.

Comment vous sentez-vous, presque un an après le début de la pandémie ?

Je répondrai deux manières : avec le je et avec le nous. Comme tous les citoyens, je suis fatigué. Mais pas la fatigue physique que je peux connaître quand je suis dans ma tournée ; plutôt parce que depuis le mois de mars, on a des changements de doctrines permanents. Et la profession est comme moi : fatiguée.

Comment vous-organisez pour accompagner aujourd’hui les besoins de la population territoriale ?

On a une contrainte lourde : la continuité des soins. La notion de groupe est importante, c’est la première strate d’équipe de soins primaires (inscrite dans la loi), d’un triptyque autour du patient : médecin, infirmier, pharmacien. Il est essentiel sur le territoire. Le patient a une problématique, et pour 9 soins sur 10, avec ces trois soignants, il s’en sort.

L’organisation en URPS comme la nôtre a eu une contrainte extrêmement forte : n’oublier personne. On sait pertinemment que les territoires sont inégaux en matière d’accès aux soins, et en matière de CPTS. Notre mission, c’est essentiellement de mettre en posture l’ensemble des 15 000 professionnels infirmiers du territoire, de leur donner la bonne information. Après, eux, ils en font ce qu’ils veulent, pour que ça corresponde à leurs territoires. On soigne différemment en Lozère, à La Grande Motte ou au cœur de Toulouse ou de Montpellier. Par contre, la posture, c’est exactement la même. Notre rôle, tout le long de la crise, c’est de faire des notes d’analyses à l’ARS, à la préfecture, ou à l’Assurance Maladie pour dire ce qui marche ou qui ne marche pas. Il faut qu’on soit force de proposition. Et il faut bien connaitre la profession pour dire « oui, on va y arriver' ». Le job est là.

Que vous permet votre organisation en URPS en ce moment ? Dans la diffusion de l’information, ou sur la rotation du personnel par exemple.

Nous recevons des directives de l’administration, pas forcément adaptés avec la réalité du métier. Je vous donne un exemple : la posture des infirmiers dans un EHPAD, c’était un document de 25 pages. Comment voulez-vous, en période aussi difficile, qu’une infirmière libérale puisse lire 25 pages ?

Nous avons mis en place des modes de communication privilégiés. Nous, les infirmiers, on est en ambulatoire, en mobilité, donc on privilégie le SMS, les messages courts. Pendant la période la plus critique, je tournais des vidéos, où j’expliquais la posture adéquate. Chaque semaine, on hiérarchise l’information, selon les zones. On a un logiciel qui nous permet d’envoyer de l’information aux bons endroits, au bon moment, de périmétrer des secteurs. On est sur un chemin de fer à 8 jours, qui peut aller de la newsletter au lien WhatsApp selon l’information à donner. Sur WhatsApp, on a environ 3 000 professionnels qui redistribuent l’information. On leur laisse une totale liberté pour reprendre, « relogoter » et diffuser l’information auprès de leurs troupes.

Comment améliorer cette organisation en URPS ?

Alors, je pense qu’on aurait à renforcer l’inter-URPS. Les présidents d’URPS, on a l’habitude de travailler des sujets communs, notamment celui des CPTS, au travers du Guichet CPTS. Ça me semble être essentiel que nos cadres, nos élus, et chargés de missions, etc. collaborent aussi pour des sujets communs, pour échanger sur les bonnes pratiques, les bonnes modalités, les idées des uns et des autres. Puisque grosso modo, on défend la même chose : l’art libéral. Il faudrait qu’on soit capables, sur des sujets, de donner un avis commun. Si on regarde devant nous, la crise nous a habitué à collaborer. On était en permanence en correspondance avec les présidents d’URPS pour lever des freins, livrer du matériel entre professions… Il faudrait qu’on soit capables d’acter dans le marbre un certain nombre de consignes et de revendications inter-URPS.

Vous avez été nommé par l’IDEL comme la profession de l’année. Avez-vous une réaction à ce sujet ?

C’est vrai que je sens la profession fatiguée, mais je sens la profession heureuse d’avoir mené ce combat. Je sens une énergie qui dit : « pour le coup, on est totalement dans notre job » ! Enfin, on a compris qu’on avait de larges compétences ! J’ai toujours considéré que la profession était sous-utilisée au regard des compétences.

Souvent, on décriait notre nombre. On dit que les médecins ne sont pas assez nombreux, et que les infirmiers sont trop. Grand bien a pris à ceux qui avaient déverrouillé le numerus clausus à l’époque ! On a vu que c’était ce nombre qui a permis d’assurer le maillage territorial, de gagner en flexibilité, et ça, seul l’art libéral peut le faire !

Ce qu’on perçoit cette année, c’est que notre métier est quand même difficile, y compris quand il n’y a pas le Covid ; mais les gens sont heureux dans leur activité, malgré les contraintes. Et ils sont heureux – on le sait pertinemment – parce qu’ils sont autonomes dans leurs actions et responsabilités. Et il faut qu’on garde cette grande liberté, y compris dans les CPTS. J’ai absolument peur que le régulateur ait tout le temps dans la tête la notion de hiérarchie. Alors qu’il faut laisser cette intelligence aux professionnels, ce dynamisme, la responsabilité qui se cache derrière chaque acte. Je pense que la profession serait extrêmement déçue si, après la crise, tout ce qu’on a été (l’énergie, la capacité organisationnelle, etc.) ne permette d’ouvrir notre profession sur d’autres projets nous concernant. Y compris pour nos collègues médecins et pharmaciens. Je pense qu’il faut qu’il y ait une plus grande confiance du législateur dans nos organisations, et qu’on garde cette qualité.

Que retenir de cette crise, demain ?

Je suis persuadé que le Covid malheureusement ne va pas nous quitter comme ça… Les statistiques européennes et internationales nous le disent. Les centres de vaccination, de dépistage… vont finir par disparaître. Et nous, il faut qu’on réfléchisse déjà à ritualiser le soin dans nos propres exercices. Aujourd’hui, un médecin généraliste sait comment traiter la grippe ou la gastroentérite. Maintenant, il va falloir qu’il rentre dans son nouveau processus les clefs d’automatisation de ce traitement-là. Et les infirmiers et les pharmaciens aussi. Que ce soit de l’isolement, du dépistage rapide… : nos cabinets devront garder tous ces principes de rituels organisationnels, pour qu’on évite d’avoir des vagues ou des pics, à l’automne ou à l’hiver prochain. Dans beaucoup d’endroits reculés, en Lozère, en Ariège etc. c’est déjà organisé comme ça : c’est dans les cabinets que ça se passe, dans les pharmacies, dans les cabinets d’infirmiers, de médecins… Peut-être que ces territoires – dont on dit qu’ils sont les plus déshérités en accès aux soins – seront les meilleurs, demain, pour le Covid ! Il faut anticiper qu’il faudra traiter le Covid en 2021, 2022, 2023, 2024…

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